Le Familicide au Canada : 2010-2019

9e mémoire sur les Homicides Familiaux

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ACKNOWLEDGEMENTS
The Canadian Domestic Homicide Prevention Initiative with Vulnerable Populations presents its ninth Homicide Brief, Familicide in Canada: 2010-2019.  This brief offers a summary of data collected through the Canadian Domestic Homicide Prevention Initiative with Vulnerable Populations focusing on familicide – the killing of multiple family members.  Families living in rural, remote and northern populations appear to be particularly vulnerable offering implications for risk assessment, risk management and safety planning. 

SUGGESTED CITATION:
Boyd, C., Sutton, D., Dawson, M., Straatman, A.L., Poon, J., Jaffe, P. (2020). Familicide in Canada: 2010-2019. Domestic Homicide Brief 9. London, ON: Canadian Domestic Homicide Prevention Initiative. ISBN: 978-1-988412-40-5. 

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THE CDHPIVIP TEAM

Co-Directors  

University of GuelphCSSLRV logo

Myrna Dawson
Director, Centre for the Study of Social and Legal
Responses to Violence
University of Guelph
mdawson@uoguelph.ca

Peter Jaffe
Academic Director, Centre for Research & Education on Violence against Women & Children
Western University
pjaffe@uwo.ca

Management Team
Julie Poon, National Research Coordinator
Anna-Lee Straatman, Project Manager

Graphic Design
Elsa Barreto, Digital Media Specialist

This research was supported by the Social Sciences and Humanities Research Council of Canada.

SSHRC Logo

LE FAMILICIDE

Le familicide constitue une forme de meurtre collectif impliquant plusieurs victimes d’une même famille (Malmquist, 1980). Les définitions du familicide varient souvent selon le lien existant entre l’auteur du meurtre et ses victimes. Certains chercheurs le définissent en termes relativement larges : un membre de la famille en tuant plusieurs autres (Liem & Koenraadt, 2008). Pour les besoins de ce mémoire, nous utiliserons la définition suivante : un individu tuant son.sa conjoint.e, ancienne ou actuelle, et au moins un enfant biologique ou par alliance (Wilson, Daly & Daniele, 1995).

Familicide : individu tuant son ou sa conjoint.e actuel.le ou ancien.ne et  au moins un enfant biologique ou par alliance (Wilson, Daly & Daniele, 1995).

PRÉVALENCE DU FAMILICIDE

Les familicides sont très rares au Canada et dans  le reste du monde mais, lorsqu’ils surviennent, leurs effets sont dévastateurs. Entre 1974 et 1990, 61 cas de familicide, représentant 161 victimes, se sont produits au Canada (Wilson et coll., 1995).Pour ce qui est des homicides survenus entre 1961 et 2003, le nombre de familicides s’élève à 127, pour 279 victimes (Statistique Canada, 2005). Outre ces données et en dépit du fait qu’ils représentent le type de meurtre collectif le plus courant – tant au Canada qu’ailleurs – il existe peu de documentation sur la prévalence des familicides au Canada (Duwe, 2004). En s’appuyant sur les données historiques, le familicide-suicide, qui se définit comme le meurtre de membres de la famille suivi du suicide de leur auteur, est survenu en moyenne une fois par an aux Pays-Bas entre 1992 et 2005 (Liem & Koenraadt, 2007). En Angleterre et au Pays de Galles, une victime d’homicide sur 72 était victime de familicide, contre une sur 69 au Canada entre 1974 et 1990 (Wilson et coll., 1995). Parmi les homicides-suicides résolus au Canada entre 1961 et 2003, 14 victimes sur 100 étaient des victimes de familicide (Statistique Canada, 2005).

LE FAMILICIDE AU CANADA

L’Initiative canadienne sur la prévention des homicides familiaux au sein de populations vulnérables (ICPHFPV), un projet de recherche national sur les homicides familiaux, a créé une base de données sur les homicides familiaux survenus au Canada entre 2010 et 2020. Les données proviennent de comptes rendus de   la Cour et de médias et la collecte de données se poursuit. Les données sur lesquelles s’appuie ce mémoire sont tirées de cette base de données; elles concernent, plus précisément, 667 cas d’homicide familial survenus au Canada entre 2010 et 2019, et 756 victimes. Selon la définition adoptée précédemment, 25 des 667 cas, incluant 69 victimes et 25 accusés, remplissaient les critères de familicide. Les données de l’ICPHFPV corroborent l’affirmation selon laquelle le familicide, c’est-à-dire le meurtre d’un.e conjoint.e ancien.ne ou actuel.le et au moins un enfant, constitue un type d’homicide rare. Parmi tous les cas d’homicide familial recensés dans l’ensemble du pays de 2010 à la fin-2019, moins de quatre pour cent (N=25) peuvent être classés comme familicides, représentant neuf pour cent de l’ensemble des victimes d’homicide familial.

Familicides au Canada, 2010 – 2019: 25 cas, incluant 69 victimes

Au cours de cette décennie, la moyenne annuelle de cas d’homicide familial a été de 66,7 cas, et   de 2,5 cas de familicide. Les renseignements sur les homicides familiaux présentés dans ce mémoire sont donc basés sur un faible nombre de cas; toutefois, s’y intéresser peut contribuer à contextualiser ces types de meurtres et à peaufiner l’évaluation de risque, la gestion de risque et la planification de la sécurité. Un peu plus des deux tiers (68 %) des cas de familicide (N=17; 55 victimes) impliquent le meurtre d’une victime principale appartenant à  un ou plusieurs des quatre groupes vulnérables auxquels s’intéresse l’ICPHFPV. Plus précisément, parmi les 69 victimes se trouvent 31 enfants (moins de 18 ans), tués aux côtés de la victime principale dans 21 cas. Quatorze de ces 31 victimes mineures résidaient dans une CRÉN, cinq étaient autochtones et deux étaient des immigrants de la deuxième génération, soulignant dans ces cas un chevauchement des vulnérabilités. Par ailleurs, 17 victimes adultes, dont trois autochtones – représentant 12 cas – ont été tuées dans une CRÉN. Quatre cas portent sur le meurtre de personnes immigrantes ou réfugiées, pour un total de sept victimes adultes.1 Enfin, huit victimes autochtones ont été tuées dans trois cas de familicide, tous survenus dans une CRÉN, ce qui met une nouvelle fois de l’avant à quel point les vulnérabilités se chevauchent. Non seulement les Autochtones sont plus exposés au risque de violence en raison des effets de la colonisation, mais ce risque est amplifié par le fait de résider en zone rurale (p. ex., en raison de facteurs tels que l’isolement social, la difficulté d’accéder aux services ou la présence d’armes feu) (Doherty & Hornosty, 2008; Holmes & Hunt, 2017; Jeffrey et coll., 2019; Peters et coll., 2018).

CHARACTERISTIQUES DES AUTEURS DE FAMILICIDE

Les recherches précédentes sur les auteurs de familicide ont découvert en se penchant sur les données démographiques que les familicides sont presqu’exclusivement commis par des hommes (Mailloux, 2014) de 30 à 40 ans (Liem & Koenraadt, 2008). Les données de l’ICPHFPV corroborent ces recherches : tous les accusés de familicide, à l’exception d’une personne, sont des hommes (N=24), dont l’âge moyen est de 39 ans.

Caractéristiques communes des personnes accusées de familicide

y En majorité des hommes

y Âgés de 30 à 40 ans

y Avec des antécédents de violence familiale

y Plus susceptibles de se suicider

FIGURE N° 1 : ÂGE DES ACCUSÉS (N)

FIGURE N° 1 : ÂGE DES ACCUSÉS (N) 1, 55-64 ans; 2, 25-34 ans; 10, 35-44 ans; 3, 45-54 ans; 8, 55-64 ans

 

1 Un cas concerne le meurtre de sept membres de la famille, dont deux mineurs, et une victime accidentelle (pour un total de huit victimes). La victime principale et l’accusé étaient immigrants, mais les enfants étaient nés au Canada. Le statut migratoire de la victime accidentelle n’est pas mentionné dans les documents publics.

La figure n° 1 montre le nombre d’accusés par tranche d’âge. La majorité des accusés se situent dans la tranche des 25-34 ans (N=10), suivis de près par les 45-54 ans (N=8). L’âge d’un accusé n’est pas connu.

Antécédents de violence familiale : Il existe souvent des antécédents de violence familiale chez les auteurs de familicide, notamment de violence physique, d’intimidation et de comportement menaçant (Johnson & Sachman, 2014). Bien que la police n’en fasse pas toujours mention, ces renseignements sont souvent divulgués par la famille, les amis et les voisins aux médias après le familicide. Les données de l’ICPHFPV indiquent que la victime principale avait fait l’objet de violence de la part de la personne accusée de familicide dans un peu plus de la moitié des cas (N=13). En présence d’antécédents de violence familiale, la violence physique était la forme de violence la plus courante (N=8), suivie de la violence affective/psychologique (N=5), du contrôle coercitif (N=3) et, à parts égales, de la violence sexuelle, économique ou autre (N=1 dans chaque cas).2 Les victimes étaient plus susceptibles de signaler la violence à la police (N=4), aux membres de la famille (N=4), voire  les deux (N=1), les autres se confiant à des amis (N=2), des collègues (N=1) ou des voisins (N=1). Ces données sous-estiment probablement les antécédents de violence familiale dans ces cas.

1 cas sur 2 de familicide fait état d’antécédents de violence familiale violence.

Situation financière et professionnelle : Les recherches se sont penchées sur la situation financière et professionnelle de leur auteur au moment du familicide, avec des résultats mitigés. Certaines semblent en effet indiquer que les hommes qui commettent un familicide ont une situation financière stable et, en général, exercent un emploi au moment du crime (Dobash & Dobash, 2015; Liem & Koenraadt, 2008), alors que selon d’autres, ces hommes seraient plutôt sans emploi ou en difficulté financière (Mailloux, 2014). Dans la base de l’ICPHFPV, les données (disponibles dans 60 % des cas) dénotent qu’un peu plus d’un tiers (N=9) des accusés détenaient un emploi à temps plein ou à temps partiel au moment du familicide.

CHARACTERISTIQUES DES VICTIMES DE FAMILICIDE

Si plusieurs victimes sont tuées dans un cas de familicide, l’une d’elles est en général principalement visée par son auteur. Les autres victimes sont souvent les  enfants  biologiques ou par alliance (Lefevre et coll., 2011; Liem & Koenraadt, 2008), mais peuvent également être des parents ou d’autres membres de la famille, ou encore des proches de la victime mais pas de l’auteur du crime (p. ex., un nouveau partenaire) ou d’autres personnes s’étant trouvées sur les lieux. D’après des recherches, les victimes principales sont en général des femmes adultes, engagées dans une relation maritale avec l’auteur du crime (Mailloux, 2014). Tous les familicides commis au Canada entre 2010 et 2019, à l’exception d’un seul, ont pour victime principale une femme adulte (N=24), ce que corroborent d’autres études; cette femme était ou avait été l’épouse ou la conjointe de fait de l’accusé. Plus  de la moitié (64 %) des victimes étaient engagées dans une relation avec l’accusé, comme le montre la figure n° 2.

Bien que l’âge moyen des victimes principales recensées dans la base de données de l’ICPHFPV ait été de 36 ans, presque la moitié des victimes avaient entre 25 et 34 ans. La figure n° 3 montre  la répartition des victimes par tranche d’âge. Les victimes tuées dans une CRÉN (N=12) sont en général plus âgées que dans tout autre groupe vulnérable : leur âge s’échelonne de 23 à 56 ans, pour une moyenne de 39 ans.

2 Cinq cas font état de plusieurs types de violence, ce qui explique que les valeurs sont supérieures à 13. « L’autre » type de violence désigne le fait que l’accusé enfermait sa conjointe à leur domicile lorsqu’il quittait les lieux.

FIGURE N° 2 : RELATION ENTRE LA VICTIME PRINCIPALE ET L’AUTEUR DU MEURTRE
Conjoint.e légal.e N=9; Conjointe de fait actuelle N=6; Ex conjointe légale ou de fait N=9; Petite amie N=1

La séparation effective ou imminente constitue l’un des facteurs de risque les plus importants de familicide et d’homicide familial. En général, il s’agit de la femme qui met fin ou cherche à mettre fin à la relation (Mailloux, 2014; Bureau du coroner en chef de l’Ontario, 2019). Lorsqu’une femme quitte son partenaire, celui-ci peut sentir que le contrôle qu’il exerçait sur sa famille est menacé, ce qui augmente le risque de familicide. Dans les données de l’ICPHFPV, un peu plus d’un tiers (N=9; soit 36 %) des victimes principales avaient quitté leur partenaire et,  dans 20 pour cent des autres cas, il semblerait qu’une séparation était imminente (N=5). Notre rapport de 2018 sur les homicides familiaux au Canada (2010-2015) indique pour sa part que 26 pour cent des victimes étaient séparées de leur partenaire, et 21 pour cent des autres victimes s’apprêtaient à le quitter (Dawson et coll., 2018). La séparation semble augmenter le risque d’homicide familial; ce risque est également significatif dans les cas de familicide.

Une séparation effective ou en cours constitue un facteur de risque dans 47% des homicides familiaux et 56% de l’ensemble des homicides.

Caractéristiques des victimes principales

y Généralement une femme majeure

y Souvent la conjointe légale ou de fait

y Séparation récente ou imminente

y Plus susceptible de vivre dans une CRÉN

FIGURE N° 3 : ÂGE DES VICTIMES PRINCIPALES

1, 55-64 ans; 3, 18-24 ans; 10, 25-34 ans; 6, 35-44 ans; 5, 45-54 ans

AUTRES VICTIMES

Outre la victime principale, 26 victimes féminines et 18 victimes masculines ont été recensées dans les cas de familicide. L’âge moyen des victimes collatérales (N=44) était de 18 ans. La plupart   des victimes étaient les enfants biologiques de l’accusé (et de la victime principale) ou l’enfant par alliance de l’accusé (73 %). La figure n° 4 indique le lien entre l’accusé et les autres victimes. La répartition par genre des enfants tués dans le cadre d’un familicide (N=31) est très proche, avec 17 filles (55 %) et 14 garçons (45 %). Leur âge s’échelonne d’un à 15 ans, pour une moyenne de huit ans. Quatorze des 31 enfants vivaient dans une CRÉN et cinq étaient autochtones, ce qui souligne le chevauchement des types de vulnérabilité auxquels ces enfants sont exposés.

HOMICIDE APRÈS UNE SÉPARATION

En 2011, l’accusé a tranché la gorge de son ex- femme et de la fille de celle-ci à de multiples reprises. La victime et l’accusé étaient séparés et engagés à l’époque dans une bataille pour obtenir la garde des enfants. Une semaine avant les meurtres, la victime avait envoyé à  son ex-mari les papiers de la séparation pour rendre leur divorce effectif. Les meurtres se sont produits quatre jours avant la date à laquelle le couple devait passer au tribunal  pour décider de la garde des enfants. Au cours de l’interrogatoire, l’accusé a déclaré que le  soir des meurtres, il s’était disputé avec son ex-femme au sujet de photos d’elle et d’un autre homme au cours de vacances récentes avec des amis. L’accusé a tué  sa  belle-fille, puis son ex-femme, devant leurs deux enfants. Lors du procès, la Couronne a affirmé que l’accusé était un homme jaloux, dominateur et en colère, qui ne pouvait pas supporter la séparation maritale et la possible perte de   la garde de ses enfants. Le jury l’a reconnu coupable de deux meurtres au deuxième degré. Il a été condamné à la réclusion à perpétuité sans possibilité de libération conditionnelle avant 15 ans.

FIGURE N° 4 : RELATION ENTRE LES AUTRES VICTIMES DE FAMILICIDE ET L’ACCUSÉ.E
19 enfants biologiques; 13 enfants par alliance; 7 membres de la famille de la victim principale; 2 membres de lafamille de l'accusé.e; 1 nouveau partenaire intime de la victime principale; 1 ami.e de la victime principale; 1 personne se trouvant sur les lieux

CARACTÉRISTIQUES COURANTES DANS LES CAS DE FAMILICIDE

Les familicides tendent à se produire au domicile ou dans un lieu connu de leur auteur (Capellan & Gomez, 2017); celui-ci se suicide souvent après avoir tué ses victimes (Taylor, 2018; Fegadel & Heide, 2017). La plupart des victimes de familicide recensées dans les données de l’ICPHFPV ont  été tuées au domicile qu’elles partageaient avec l’accusé (N=44; 64 %); ce groupe est suivi des victimes tuées à leur propre domicile (N=9; 13%), à celui de l’accusé (N=5; 7 %) ou sur la voie publique (N=5; 7 %). Les victimes restantes ont  été tuées à un autre domicile (N=2; 3 %) ou dans un endroit autre/non connu (N=4; 6 %).3 La figure n° 5 indique le lieu où ont été tuées les victimes.

3 On ignore le lieu exact de l’homicide pour deux victimes de familicide, parce que leur corps a été découvert dans un bois. Les deux victimes restantes ont été tuées dans une résidence de vacances/chalet qui appartenait à l’une des victimes, mais qui n’était pas sa résidence principale.

FIGURE N° 5 : EMPLACEMENT DES FAMILICIDES (N)

Domicile de la victime principale (9); Sur la voie publique (5); Domicile commun de la victime et de l'accusé (44); Autre domicile (2); Emplacement non connu (4); Domicile de l'accusé (5)

CAUSE DU DÉCÈS ET UTILISATION D’UNE ARME

Bien que les armes à feu constituent le type d’arme le plus fréquemment utilisé dans les cas  de familicide, les auteurs de familicide peuvent aussi recourir à d’autres types d’armes (Capellan  & Gomez, 2017). Outre les décès par arme à feu, d’autres causes courantes de décès incluent l’attaque à l’arme blanche, la strangulation, les coups et blessures entraînant la mort, l’incendie volontaire, avec la fréquente présence de couteaux, autres instruments tranchants et objets contondants (Fegadel & Heide, 2017). La cause du décès ne figure pas toujours dans les archives publiques (les informations font défaut pour 25 % des victimes), mais lorsqu’elles sont disponibles, les données de l’ICPHFPV révèlent que les armes   à feu (41 %) constituent la cause de décès la plus fréquente, suivie de la strangulation, des coups et blessures entraînant la mort, d’homicide commis au volant d’un véhicule et d’incendie criminel.

Le tableau n° 1 montre la répartition des décès selon leur cause, dans les cas où l’information est disponible.

MÉTHODE UTILISÉE POUR TUER NOMBRE %
Attaque à l’arme à feu (arme de poing ou fusil) 28 41
Attaque à l’arme blanche 9 13
Strangulation 5 7
Coups et blessures entraînant la mort 5 7
Homicide commis au volant d’un véhicule 3 4
Incendie criminel 2 3
Non déclaré 17 25
TOTAL 69 100

FAMILICIDE - SUICIDE

Les recherches existantes sur les familicides ont révélé que la majorité des auteurs de familicide soit se suicident, soit tentent de leur faire, à la suite du meurtre (Liem & Reichelmann, 2014). Ceci est particulièrement vrai lorsque des enfants sont tués, l’auteur du crime étant alors nettement plus susceptible de se suicider (Wilson et coll., 1995; Liem & Koenraadt, 2008; Straatman et coll., 2020). Selon plusieurs recherches (Johnson, 2006; Liem et coll., 2013; Aho et coll., 2017), les auteurs de familicide partagent certaines caractéristiques; ils ont, notamment :

y sollicité de l’aide pour divers problèmes de santé mentale, y compris pour une

dépression, des troubles de la personnalité, autodestruction ou consommation de substances;

y des relations sociales instables, y compris une récente séparation;

y des antécédents de violence envers les enfants, les partenaires intimes et d’autres;

y un casier judiciaire.

13 des 25 accusés se sont suicidés après le familicide et 1 a tenté de se suicider.

Certaines recherches semblent indiquer que les auteurs motivés par le désir de se suicider et   de tuer leur famille ne le font en fait pas dans l’intention de protéger leur famille, mais parce qu’ils ont des tendances suicidaires et ne peuvent pas concevoir leurs partenaire et enfants comme des êtres séparés d’eux (Dawson, 2005). Plus de la moitié des accusés de familicide (N=13) recensés dans les  données  de  l’ICPHFPV  se sont suicidés à la suite de l’acte, et l’un d’entre eux a tenté de le faire. Les accusés qui se sont suicidés ont principalement eu recours à une arme à feu (N=7; 54 %), sauté dans le vide (N=2; 15 %) et, dans un cas, projeté intentionnellement son véhicule dans la voie de circulation opposée (8%). Les méthodes utilisées par les trois accusés restants n’ont pas été communiquées. En résumé, les données de l’ICPHFPV corroborent les recherches existantes, en ce sens que les accusés de familicide ont souvent tendance à se suicider après avoir commis leur acte.

LE FAMILICIDE AU SEIN DES COLLECTIVITÉS RURALES, ÉLOIGNÉES ET NORDIQUES (CRÉN)

L’isolement semble constituer un facteur de risque dans les homicides familiaux, en particulier dans les CRÉN (Grama, 2000; Logan  et  coll., 2003; Jeffrey et coll., 2018). La même tendance s’observe dans les cas de familicide : en dépit du fait que moins de 20 pour cent de la population canadienne réside en milieu rural (Statistique Canada, 2012), près de la moitié des familicides y surviennent, représentant 12 victimes principales et 21 autres victimes. Huit d’entre eux sont survenus au domicile que la victime principale et l’accusé partageaient, un au domicile de la victime, et les autres sur une voie publique, une autre résidence ou la résidence secondaire de  la victime (N=1 dans chaque cas). La plupart   des victimes décédées dans une CRÉN ont été abattues par balle (N=17; 74 %), trois ont été renversées par une voiture (13 %), deux ont été battues à mort (9 %) et une a été étranglée (4%). Des fusils ont été utilisés dans la majorité des homicides par arme à feu (N=7), suivis d’armes de poing (N=2). La cause du décès de huit victimes résidant dans une CRÉN n’est pas connue. Les accusés sont plus susceptibles de se suicider dans une CRÉN que dans un milieu urbain : la majorité des accusés qui se sont suicidés (N=13), en effet, se trouvaient dans une CRÉN (N=8; 62 %) les autres vivant en milieu urbain (N=5; 38 %).

Deux accusés sur trois vivant dans une CRÉN se sont suicidés après avoir commis le familicide.

CRÉN – HOMICIDES AVEC ARMES À FEU

A. En 2010, un homme a assassiné son ex- conjointe de fait et la fille majeure de celle- ci dans leur maison mobile, située en région rurale. Le matin des meurtres, l’accusé est entré dans la maison mobile, armé d’une arme de poing et d’un fusil chargé, et s’est disputé avec son ex-conjointe. Les deux victimes sont décédées de multiples blessures par balles. Le meurtre de son ex-partenaire semble avoir été prémédité, puisqu’il a utilisé son compte Facebook pour la localiser. Toutefois, rien n’indique qu’il ait su que la fille de son ex-conjointe serait présente.  L’accusé  ne  possédait pas de casier criminel, mais une injonction restrictive lui interdisait l’accès aux deux victimes au moment du meurtre. L’accusé a été déclaré coupable au premier degré pour le meurtre de son ex-conjointe et au second degré pour celui de la fille de la victime principale.

B.   En 2014, la police a découvert les corps d’une femme et de son nouveau partenaire à l’extérieur d’une résidence en milieu rural. Environ 70 km plus loin, la police a ensuite découvert au domicile de l’ex-conjoint ceux des deux jeunes enfants qu’il avait eus avec elle. Selon la police, l’accusé a assassiné sa conjointe, qui l’avait récemment quitté, ainsi que le nouveau partenaire de celle-ci, avant de rentrer chez lui, de tuer ses deux enfants et de se suicider. Son ex-femme  est morte par strangulation et les autres victimes par arme à feu.

IMPLICATIONS POUR L’ÉVALUATION DE RISQUE, LA GESTION DE RISQUE ET LA PLANIFICATION DE LA SÉCURITÉ

Les familicides sont rares, mais surviennent, en moyenne, plus de deux fois par an au Canada.  Si les facteurs de risque sont similaires pour les familicides et les homicides familiaux, il existe plusieurs différences notables susceptibles d’orienter les efforts en matière de prévention :

y Au Canada, près de la moitié des familicides se produisent dans une CRÉN. Ceci est d’autant plus significatif que moins de 20 % de la population du pays y réside (Statistique Canada, 2012).

y Les accusés provenant d’une CRÉN sont plus susceptibles de se suicider que ceux qui vivent en milieu urbain.

y Les familicides commis dans une CRÉN utilisent fréquemment des armes à feu.

y Il existe des antécédents de violence familiale dans plus de la moitié des cas de familicide.

Lorsqu’il existe des antécédents de violence familiale et qu’un contrevenant semble avoir  des pensées suicidaires, il est important que l’évaluation se penche également sur ses pensées homicides – pas  seulement  à  l’égard de la partenaire intime, mais aussi du reste de la famille et d’autres personnes – et de concevoir les stratégies de gestion en conséquence. Les personnes résidant en milieu isolé requièrent des plans de sécurité particuliers – tant pour la victime principale que pour l’ensemble de la famille. Les informations avancées dans  ce mémoire soulignent  l’importance  de tenir également compte des enfants dans la planification de la sécurité.

CERCLES DE SÉCURITÉ ET DE SOUTIEN

Les Cercles de sécurité et de soutien, mis en place à l’origine sur l’Île-du-Prince-Édouard par Justice Options for Women, répondent aux besoins des femmes qui s’inquiètent pour leur sécurité physique ou émotionnelle en raison du degré élevé de violence familiale. Les cercles sont animés en s’appuyant sur les intérêts de ces femmes. Un cercle se forme avec, en son centre, la participation volontaire d’une femme en proie à de la violence familiale. La femme aide à déterminer qui inclure dans son cercle, et prend les décisions dans la planification de la sécurité. Cette importante particularité, qui met de l’avant l’autonomisation des femmes, distingue ce modèle d’autres. Toute personne peut être incluse dans un cercle : voisins, amis, famille, employeur, collègues, services de protection de l’enfance, police, et divers services d’aide aux victimes, y compris les services entourant les refuges et les services d’intervention. Plusieurs réunions sont organisées pour mettre en place  des solutions adaptées aux situations à risque élevé et pour trouver d’autres personnes et services de soutien susceptibles d’être ajoutés et, le cas échéant, de quelle façon. Le cercle existe aussi longtemps que nécessaire pour s’assurer de l’efficacité du plan. D’après les femmes qui y ont fait appel, les cercles les ont aidées à asseoir leur autonomie, à résoudre  leurs problèmes et à prendre leurs décisions. Ce modèle, limité à l’origine à l’Île-du-Prince-Édouard, s’étend désormais à plusieurs collectivités rurales canadiennes, y compris Peace River,  AB,  La Ronge, SK, et Watson Lake,  YK  (CBC  News,  6 mars 2020).

Dans les collectivités rurales, éloignées et nordiques du Canada, les femmes sont nettement plus exposées aux risques en raison de leur isolement. Le fait d’impliquer tant les individus que les professionnels pour assurer leur sécurité  et fournir le soutien nécessaire peut, de façon significative, réduire les risques et prévenir des homicides familiaux.

RÉFÉRENCES

Aho, A., Remahl, A., Paavilainen, E. (2017). Homicide in the Western Family and Background Factors of a Perpetrator. Scandinavian Journal of Public Health 45:555-568.

Bureau du coroner en chef de l’Ontario (2019). Comité d’examen des décès dus à la violence familiale. Rapport annuel 2018. Consulté sur la page https://www.mcscs.jus.gov.on.ca/sites/default/files/content/mcscs/docs/CEDVF%20 rapport%20annuel%202018.pdf

Capellan, J., Gomez, S.P. (2017). Change and Stability in Offender, Behaviours, and Incident- Level Characteristics of Mass Public Shootings in the United States, 1984-2015. Journal of Investigative Psychology and Offender Profiling 15(1) :51-72.

Dawson, M. (2005). Intimate Femicide Followed by Suicide : Examining the Role of Premeditation. Suicide and Life-Threatening Behavior 35(1) :76-90.

Dawson, M., Sutton, D., Jaffe, P., Straatman, AL, Poon, J., Gosse, M., Peters, O. & Sandhu,

G. (2018). Un seul, c’est déjà trop : Tendances et caractéristiques des  homicides  familiaux au canada de 2010 à 2015. London (Ontario) : Initiative canadienne sur la prévention des homicides familiaux au sein de populations vulnérables

Dobash, R., Dobash, E. (2015). Why Men Murder Women. USA : Oxford University Press.

Doherty, D., & Hornosty, J. (2008, May). Exploring the links: Firearms, family violence and animal abuse in rural communities. Final Research Report to The Canadian Firearms Centre, Royal Canadian Mounted Police, and Public Safety Canada. Retrieved from http://www.legal-info-legale.nb.ca/ en/uploads/file/pdfs/Family_Violence_Firearms_ Animal_Abuse.pdf

Duwe, G. (2004). The Patterns and Prevalence of Mass murder in Twentieth-Century America. Justice Quarterly 21(4) :729-761.

Fegadel, A., Heide, K. (2017). Offspring- Perpetuated Familicide : Examining Family Homicides Involving Parents as Victims. International Journal of Offender Therapy and Comparative Criminology 61(1) :6-24.

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